Djamila Ribeiro

« Le racisme est une affaire de Blancs. C’est le fardeau des personnes blanches », affirme Nadia Yala Kisukidi.

Redação

3 de dezembro de 2025

Par Mariana Rosetti, dans Elle
Photo : Rodrigo Trevisan Dias

Lors d’une conversation à l’Espace Feminismos Plurais, la philosophe française parle de dissociation, du pouvoir de l’émerveillement en littérature et de la raison pour laquelle combattre le racisme est la responsabilité de celles et ceux qui l’ont créé.

En suivant un live sur Instagram animé par la professeure, philosophe, écrivaine et militante féministe noire Djamila Ribeiro, la philosophe et écrivaine française Nadia Yala Kisukidi a été saisie par le commentaire d’une femme noire : « Je suis tellement fatiguée du racisme et de tout le poids que mon corps doit porter que je veux m’en débarrasser. Je veux simplement vivre comme un esprit », disait-elle.

Ce sentiment n’était pas une métaphore, savait Yala, mais l’expression d’un désir de dissociation — mot qui, sans hasard, donne son titre à son premier roman. « Ce qu’elle a dit correspond exactement à l’expérience de dissociation : quand on ne supporte plus ce que son corps doit porter socialement », explique l’autrice. L’épisode s’est produit en 2022.

L’identification au témoignage de cette inconnue n’était pas seulement intellectuelle : elle venait aussi de sa propre histoire. Née à Bruxelles en 1978, d’un père congolais et d’une mère franco-italienne, Yala est professeure associée de philosophie à l’Université Paris 8, spécialiste de philosophie française et africaine.

En entretien avec ELLE, au Brésil, elle raconte ses tentatives personnelles de dissociation, le pouvoir de la littérature et pourquoi le racisme est un problème des personnes blanches.

La dissociation comme survie

Publié au Brésil en 2024 par Bazar do Tempo, La Dissociation (A Dissociação dans l’édition brésilienne) raconte l’histoire d’une fillette orpheline vivant avec sa grand-mère en périphérie de Villeneuve-d’Ascq, dans le nord de la France. L’enfant a une capacité singulière : elle peut séparer son esprit de son corps. Avant d’écrire le livre, Yala a tenté de faire la même chose que son personnage : « Si j’ai choisi de devenir philosophe, c’était pour me débarrasser de mon corps », confie-t-elle.

Ce choix s’enracinait dans la promesse de la philosophie : vivre par la raison, sans préjugés ni biais. « J’étais vraiment en colère contre ce monde, insatisfaite en tant que jeune femme ; j’ai donc choisi la philosophie pour me libérer du corps. Mais bien sûr, il est impossible de s’en séparer. »

L’autrice convoque Frantz Fanon, dans Peau noire, masques blancs, pour expliquer pourquoi l’expérience corporelle peut devenir inhabitable, surtout lorsqu’elle est traversée par des structures telles que le racisme, le sexisme ou la colonisation : « À travers le racisme, on fait l’expérience que son propre corps ne nous appartient pas. On n’en est pas le sujet, car il appartient à quelqu’un d’autre. Il n’est que race. » Yala identifie alors deux chemins : quitter son corps, ou revendiquer pleinement son existence physique.

Dans la littérature, elle emprunte le premier : « Alors, on se dit : “Ce monde n’est pas le mien. Je vais laisser ce corps ici et vivre toute ma vie comme un esprit.” » C’est un roman de fantômes, de personnes rêvant d’un monde sans lumière : dans l’obscurité, il n’y a ni races ni couleurs de peau.

Le racisme est blanc

La philosophe réaffirme ce que défendait Lélia Gonzalez : « Le racisme n’est pas mon problème, c’est le vôtre », en s’adressant aux personnes blanches. « Pour moi, parler du racisme est compliqué : cela me rappelle tous les moments humiliants que j’ai dû vivre enfant. Et je ne peux pas l’accepter. Je me souviens aussi de tous ces moments où j’ai renoncé — et cela non plus, je ne peux l’accepter. »

Pour Yala, les femmes noires ont dû se défendre contre quelque chose qu’elles n’ont pas créé : « Le racisme est une chose blanche. C’est le fardeau des personnes blanches. » Ainsi, « tout ce que j’essaie de faire, c’est de ne pas être avalée par ce vertige racial. Nous en connaissons les paroles, le scénario, la musique. Et je suis fatiguée de chanter la même chanson. »

En vivant aux États-Unis durant la récente campagne présidentielle, elle a compris quelque chose d’essentiel : « Certaines personnes blanches ont réellement compris ce que signifie le racisme. Elles ont le privilège — et l’obligation — de lutter pour les autres. Il s’agit de refuser ce qui est fantasmé comme leur race. »

Lutter contre le racisme n’est ni une question de charité, ni d’offrir des opportunités : « Il s’agit de briser le système — et cela doit être fait par celles et ceux qui en tirent avantage. Sinon, ce ne sont que des mots. »

Langages multiples, identités hybrides

Le choix de l’émerveillement et de l’hybridité narrative chez Yala n’est pas seulement esthétique : il est politique et autobiographique. « Je ne suis pas seulement africaine, ni seulement congolaise ; je suis aussi européenne et française », affirme-t-elle.

Cette multiplicité se reflète dans son écriture, qui mêle traditions orales africaines et formes marginalisées de la littérature européenne. Pour elle, il existe deux Europes : l’Europe coloniale, « celle que nous détestons, que l’on ne peut pas sauver », et une autre, persécutée : celle des hérésies, des savoirs proscrits, des imaginaires bannis. « L’Europe est un continent complexe. J’y vois aussi des traditions fortes qui ont été effacées — des traditions moins rationnelles, plus magiques. »

Son roman a été bien reçu en France, malgré l’étonnement : le naturalisme et le réalisme dominent la littérature française. Mais Yala avait besoin du merveilleux, du magique et du fantastique pour parler du racisme : « Je ne comprends pas comment on peut décrire le racisme de manière rationnelle, puisqu’il n’est pas rationnel. »

Elle illustre avec une expérience personnelle : à douze ans, alors qu’elle mangeait une banane, elle a été insultée : « Il y a quelque chose de défaillant dans la tête de l’autre. Je ne peux pas comprendre que quelqu’un me voie comme un singe. Voilà pourquoi je ne peux pas utiliser la raison, le réalisme ou le naturalisme pour parler de cette absurdité raciste. J’ai besoin de l’émerveillement. »

Yala affirme que le monde façonné par la race est un cauchemar magique. « Je sais exactement ce que signifie vivre dans un monde non structuré par le racisme. Je le sais. Ce n’est pas une utopie. Je le sais parce que je ne suis pas raciste. Et je ne le serai jamais. Je n’ai donc pas besoin d’inventer un autre mot. »

France, Afrique et Brésil

L’entretien a eu lieu dans la bibliothèque baptisée Toni Morrison — éditrice, écrivaine, première et seule femme noire à recevoir le prix Nobel de littérature — à l’Espace Feminismos Plurais (EFP), institut présidé par Djamila Ribeiro, qui offre formation intellectuelle et professionnelle à des femmes noires, ainsi qu’un accompagnement psychologique, juridique et odontologique.

Cet après-midi-là, Nadia Yala Kisukidi se préparait à rencontrer des lectrices du projet Movimento Autoral, destiné à donner visibilité aux œuvres d’autrices. Le projet réunit écrivaines et lectrices dans un club de lecture et des rencontres en présentiel, comme celle de ce soir. Coordonné par la professeure et écrivaine Maria Carolina Casati — qui a également animé la conversation — et soutenu par le consulat de France depuis le second semestre de cette année, le club a choisi La Dissociation comme livre du mois.

Même si c’était la première visite de Yala dans le lieu, elle et Djamila se connaissent depuis longtemps : elles ont coécrit Dialogues transatlantiques, publié en France par les Éditions Anacaona en 2020. Djamila assistait à la conversation à distance, depuis le Massachusetts, où elle séjourne temporairement.

La rencontre a eu lieu la veille de la Marche des Femmes Noires, à Brasilia, dix ans après la première édition. Cette année, des milliers de femmes ont occupé les rues de la capitale pour demander réparation historique et bien vivre — un concept qui dépasse l’accès aux droits et vise une vie digne, libre de violences et respectueuse de l’ancestralité.

Organisée le 25 novembre, Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, la marche a réuni des participantes de tout le pays et de l’étranger, rassemblées en collectifs et mouvements sociaux qui, comme l’EFP, construisent des réseaux d’accueil et de résistance face au racisme.

À la fin de la conversation, une femme noire du public demande la parole et avoue que le livre l’a profondément touchée : à plusieurs moments de sa vie, elle avait dû créer un, deux, parfois trois personnages pour affronter des épisodes racistes. C’était sa manière de se dissocier.

Que ce soit à Paris, São Paulo, Brasilia ou en Afrique, les échanges d’expériences et la réflexion sur le genre et la race trouvent des points de convergence. Après l’avoir écoutée, Yala, visiblement émue et en quête de mots, répond simplement : « Je suis très touchée, merci. »

Traduit avec l’aide de l’intelligence artificielle.

 

Ver essa foto no Instagram

 

Uma publicação compartilhada por Feminismos Plurais (@feminismos.plurais)

Artigos Relacionados


24 de novembro de 2025

Conscience Noire : Quand Toni Morrison Rencontre Carolina Maria de Jesus


19 de novembro de 2025

Djamila Ribeiro donne son premier cours au MIT


12 de novembro de 2025

Djamila Ribeiro célèbre son statut consolidé de référence pour les dissertations de l’Exame Nacional do Ensino Médio (Enem) brésilien