Opinion – Djamila Ribeiro : L’horreur est normalisée au Brésil et les autorités restent insensibles

Publié initialement dans Folha de S. Paulo le 21 août 2025
Face à la multiplication des féminicides au Brésil — à un rythme terrifiant —, quelque chose m’indigne profondément : l’absence de mobilisation et de véritable émotion collective face aux assassinats de femmes. Les cas s’accumulent, mais le silence de ceux qui devraient se prononcer reste assourdissant.
Au lieu de compassion ou de révolte, on observe souvent une tentative de culpabilisation des victimes, comme dans le cas récent de Sther Barroso dos Santos, 22 ans, assassinée après avoir assisté à un baile funk. Selon sa famille, elle aurait été tuée pour avoir refusé les avances de Bruno da Silva Loureiro, chef présumé du trafic à Muquiço, dans le quartier de Guadalupe, au nord de Rio de Janeiro.
Le crime fut atroce. Sther a été violée, battue à tel point que son visage en était méconnaissable. Son corps a été abandonné devant le domicile de sa mère. En 2024, Josenilson Vitorino, peintre, a été battu à mort à Cajazeiras, dans l’État de Bahia, pour avoir tenté d’empêcher le viol de sa fille de 13 ans par un trafiquant. L’homme a été torturé pendant quatre heures devant sa femme et d’autres membres de sa famille, par des membres d’une faction criminelle.
Et pourtant, jusqu’au moment où j’ai pris une grande respiration pour relayer ces affaires sur les réseaux sociaux, je n’avais vu aucune déclaration officielle de la part des autorités. Aurions-nous perdu notre capacité à nous indigner ? Honnêtement, je ne le crois pas. Le problème, c’est peut-être que la société brésilienne est incapable de s’indigner lorsque des femmes sont violées, agressées ou assassinées.
Cela vaut aussi bien pour les secteurs conservateurs que progressistes. À ce propos, j’ai récemment vu une immense vague de solidarité autour de la campagne « MC n’est pas un bandit ». Une initiative lancée en particulier par des partis politiques, artistes et intellectuels de gauche, pour défendre des hommes — notamment issus de la scène funk — faisant l’objet d’enquêtes et d’arrestations.
Une mobilisation nationale s’est installée, bien que certains aient rappelé la nécessité d’enquêter. Des concerts de soutien ont été organisés, des fonds collectés, et le comportement des policiers a fait l’objet de critiques publiques.
Bien sûr, la criminalisation des jeunes des périphéries est une problématique cruciale. Ces hommes doivent pouvoir se défendre pleinement. Mon propos, cependant, concerne le contraste entre cette solidarité envers les hommes, d’un côté, et l’incapacité à compatir avec les femmes violées et assassinées, de l’autre. Ce contraste révèle des racines profondes.
Il faut certes débattre du taux d’incarcération élevé dans les favelas, conséquence directe du racisme au Brésil, mais il ne faut pas pour autant tomber dans un discours romantique qui passe sous silence les conditions inhumaines auxquelles sont soumises les filles et les femmes dans ces espaces.
Il est crucial de comprendre que, quel que soit le contexte social ou racial, les hommes violentent et tuent des femmes. Quand Audre Lorde écrivait qu’« il n’y a pas de hiérarchie dans l’oppression », elle nous rappelait que l’on ne peut choisir quelles oppressions sont les plus importantes, car elles agissent simultanément, touchant divers sujets à la fois.
Ce que je constate néanmoins, c’est qu’une partie du champ conservateur — mais surtout progressiste — se mobilise rapidement pour défendre les hommes via des campagnes et des hashtags qui les positionnent en victimes, tout en acceptant avec passivité le massacre quotidien des femmes au Brésil. Une gauche dite progressiste et démocratique qui se montre indulgente envers les hommes des périphéries mais profondément misogyne envers les femmes.
Les témoignages abondent de jeunes femmes contraintes de fuir leur quartier après des menaces de viols proférées par des trafiquants, de femmes violentées, plongées dans la terreur au quotidien. Des psychologues œuvrant dans les centres socio-éducatifs pour mineurs m’ont raconté que certaines adolescentes se font raser la tête par leur petit ami, qu’elles sont obligées de maintenir des relations avec eux même lorsqu’ils sont incarcérés, et qu’elles subissent l’abandon des institutions.
L’horreur est aujourd’hui normalisée au Brésil. Et, tragiquement, nous ne voyons toujours pas les pouvoirs publics mettre en place des mesures réellement efficaces pour enrayer cette hémorragie de vies féminines.
Traduit avec l’aide de l’intelligence artificielle.
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